Souvenirs d'un vieux Montréalais

La chasse aux oiseaux

Même si, avec le temps, je suis devenu un partisan inconditionnel de la non-violence et que, sans aller aussi loin que Madame Bardot, je déplore la violence gratuite dirigée contre les animaux, il n'en fut pas toujours ainsi.

De l'âge de six à l'âge de la puberté, où j'ai découvert des plaisirs d'un autre ordre, ma vie a été marquée par la violence et je portais une arme sur moi en tout temps.

1) Mon "crève-yeux"

Quelques mois avant mon inscription à l'école, une légende urbaine, à laquelle ma mère croyait, sévissait dans le quartier. On disait qu'un homme distingué et de belle apparence attirait les enfants avec des friandises puis il les piquait avec une seringue avant de prendre la fuite dans une automobile noire.

À la mi-septembre, le jour de mon 7e anniversaire de naissance, j'ai reçu un "suçon en bonbon clair" monté sur un bâton très dur et très pointu. Je me suis dit que cela me fera une bonne arme pour me défendre contre "l'homme qui pique". Si jamais il m'approche, je ferai semblant de m'intéresser à ses friandises et au moment où il s'y attendra le moins, je lui planterai mon bâton dans un œil.

Dès lors, durant les mois qui suivirent, cette arme rudimentaire m'a rendu invincible et elle ne m'a jamais quitté.

Une fillette de mon âge à qui j'avais dévoilé ma stratégie devint ma protégée. Nous étions toujours ensemble; comme dans les contes de fée, elle était ma petite princesse et j'étais son Prince charmant.

Nous jouions souvent à "La belle au bois dormant".

Un jour où ma petite amie "dormait" plus profondément que d'habitude et j'ai essayé autre chose que les p'tits becs habituels...

Sa mère nous a surpris.

Je me suis sauvé en courant mais ma petite princesse ne s'en est pas tirée aussi facilement.

C'est ainsi que s'est terminé mon premier amour.

2) mon "sling shot" (fronde)

Une voisine à qui j'avais rendu quelques menus services m'a donné un "gros deux cennes"* pour me récompenser. Cet argent me brûlait les poches et je courus aussitôt au petit restaurant du coin pour acheter des bonbons.

Pour un cent, on pouvait s'acheter soit 7 p'tits outils, 3 boules au coconut, 2 petites pintes de lait, 5 cartes de base-ball avec une palette de gomme, 2 fouets de réglisse noire ou rouge, 4 capuchons de chocolats, un sac de "chips" ou un sacs de "peanuts".

Avec mon "gros deux cennes", le choix était illimité.

Pendant que j'hésitais, Ti-Clin, le propriétaire du restaurant, me montre un beau sling shot qui coûtait justement deux cents.

Fini les bonbons.

Un lance pierre! Une vraie fronde en broche avec deux gros élastiques rouges et une lanière de cuir!

Je l'ai acheté sur-le-champ.

Attention les "p'tits zoizeaux" le grand Nemrod part pour la chasse.

Fort heureusement pour la gent ailée, dû au fait que j'étais gaucher ou que, plus simplement, j'étais gauche, je n'ai pas beaucoup de victimes à mon tableau de chasse.

Ce n'est pas faute d'avoir essayé.

Les poches toujours pleines de cailloux, à longueur de journée, en allant à l'école, en revenant de la messe, durant nos jeux, où que j'aille et quoi que je fasse, les moineaux et les pigeons étaient mes cibles favorites.

Comme je les ratais immanquablement, après un certain temps, je me suis mis à viser les chiens et les chats. Ces derniers étaient plus gros mais non moins rapides. Le plaisir de la chasse l'emportait sur mon peu d'habileté.

Des frondes, j'en ai eu de toutes les sortes, en bois et en métal, des petites et des grosses..., j'en ai eu une immense, confectionnée avec une branche d'arbre et des lanières de caoutchouc provenant d'une "tripe" (chambre à air de pneu d'automobile), avec laquelle on pouvait briser une vitre de fenêtre à plus de 30 pieds...

Vers l'âge de douze ans j'ai rencontré Violaine...

...et j'ai rendu les armes.

les pièces anglaises circulaient sur le marché canadien Le half penny valait un cent et on l'appelait "une grosse cenne" et le penny valait deux cents et on l'appelait "un gros deux cennes".

Claude Prince nous a quitté le 22 mai 2009.
En sa mémoire, je vais maintenir son site.
Bertrand L. Fleury

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