Souvenirs d'un vieux Montréalais

Ma Première Communion

Mon fils a fait sa Première Communion et sa dernière la même journée.

Il n'était pas du tout impressionné par le fla-fla précédant la célébration et encore moins par la cérémonie elle-même. Il ne voulait pas se confesser ni communier. Son refus de se conformer aurait entraîné son expulsion de l'école catholique. En plus des problèmes de transport, l'école protestante était loin de chez-nous, son refus aurait fait doubler le taux de la taxe scolaire sur notre maison.

Il s'est donc, finalement, plié de bonne grâce à ce caprice d'adultes.

Le seul péché qu'il a accepté d'admettre au confessional c'est d'avoir "tiré la couette de sa soeur... "

J'étais beaucoup plus tourmenté que ça dans mon temps.

Imaginez le pauvre ti-cul qui vient à peine d'avoir "l'âge de raison" qui doit, pour se préparer à la Confession, trouver, dans sa conscience toute neuve, des péchés qui auraient pu le précipiter tout droit en enfer pour l'éternité ou à tout le moins dans le Purgatoire jusqu'à la fin du monde.

Je n'avais pas de soeur à qui tirer la couette.

Je n'avais pas volé ni tué personne; je ne pouvais pas imaginer non plus que me battre avec mes frères puisse être un péché : on se battait à la journée longue.

Bien sûr, comme tous le petits voyous du quartier, je fumais en cachette, mais le curé de la paroisse fumait lui aussi. Ça ne devait donc pas être un péché.

Au cours d'un exercice préparatoire à la confession, pour voir si nous avions bien compris ce qu'elle avait enseigné, la maîtresse d'école demanda privément à chacun de nous de lui donner des exemples de fautes que nous aurions pu avoir commises. Je lui ai dit qu'en jouant au docteur, j'avais troussé la jupe d'une petite camarade. Scandalisée, elle a dit que ça, c'était un péché mortel et que je devais absolument m'en confesser. Le prêtre, lorsque je me suis confessé a voulu savoir, par le menu détail, ce qui s'était passé. Il m'a sermonné durant quelques minutes puis il m'a donné l'absolution et une pénitence : réciter une dizaine de chapelet.

Si, depuis, j'avais dû réciter une dizaine de chapelet chaque fois que j'ai retroussé une jupe, j'aurais de la corne sur le bout des doigts...

Une fois mon âme bien préparée à recevoir le bon dieu, il fallait passer aux choses matérielles. Septième d'une famille de huit enfants et précédé par deux garçons, je n'avais encore jamais porté un vêtement neuf.

Imaginez ma joie de petit pouilleux de courrir les magasins de la rue St-Hubert avec ma mère pour m'acheter un beau p'tit "suit"1 en serge, des bas longs noirs, des souliers en "cuir patent"2, une blouse de soie blanche, etc.

Pour le reste : la boucle de soie blanche que l'on portait autour du cou, l'insigne avec une frange dorée et le brassard de soie, j'ai dû me contenter du "kit"3 qui avait été utilisé depuis 10 ans aux Premières Communions de mes frères et même de quelques cousins. Maman conservait ces choses enveloppées dans du papier bleu mais, malgré cette précaution, elles étaient passablement défraîchies. Quant à elle, ma mère trouvait que tout était parfait et que j'étais beau comme un coeur. Dès le lendemain de la cérémonie, nous nous sommes rendus, elle et moi, chez le photographe Allard sur l'avenue du Mont-Royal pour "faire tirer mon portrait".


En faisant nos courses, nous avons croisé une voisine. Elle m'a pris dans ses bras en disant à ma mère : «Pauv' p'tit trésor! Si y avait pas les oreilles comme des portes de granges, y s'rait t'y beau le p'tit vinguienne.4» Offusquée, ma mère m'a ramené sur le trottoir en disant : «Vite, vite, on est pressés... s'cusez-nous m'amme chose.» Et en aparté, elle m'a dit : «Est t'y folle... non mais est t'y folle... y sont correctes tes oreilles» et pour me faire oublier l'incident, nous sommes entrés au "United 5¢, 10¢, 15¢"5 pour se payer un bon sundae au caramel et un "Coke à la fontaine"6.

Ceux et celles qui nous avaient préparés pour ce grand jour nous avaient mis ça tellement beau et tellement plein de mystère que je m'attendais presque, au moment de la Communion, de voir le bon dieu me prendre dans ses bras et me serrer sur son coeur...

Il n'y a rien eu de tel.

Pas le moindre mystère.

Tout le monde était trop absorbé par le rituel.

La maîtresse épiait le moindre de nos gestes; il fallait que chacun garde son rang; qu'il surveille la distance (deux tuiles noires sur le plancher) derrrière celui qui le précède, qu'il garde les mains jointes, sans se gratter le nez, éternuer, tousser ou chercher ses parents dans la foule.

C'était un "trip"7 d'adultes.

Heureusement, après la cérémonie, une fête nous attendait à la maison avec des tas de cadeaux. Drôles de cadeaux à donner à des p'tits gars... des chapelets, des images saintes, des livres de messe, des crucifix, des statues de la Vierge, etc. qui allaient, le jour même, rejoindre ceux des autres enfants de la famille dans une grosse boîte au fond d'un garde-robes sur laquelle on avait écrit : «Souvenirs de Première Communion».

Heureusement, il y avait aussi un gâteau; un immense gâteau blanc avec un petit bonhomme habillée en premier communiant au milieu.

Je garde surtout de ce grand jour le souvenir ému de la petite fille qui marchait à côté de moi dans le rang. Deux petites mêches de cheveux sortaient sous son voile; elle avait des belles joues roses et des jolis yeux légèrement bridés qui donnaient à son regard un charme particulier.

Quand nous marchions côte-à-côte durant les exercices, sans me faire remarquer par la maîtresse, je lui prenais la main l'espace d'une seconde. Toute gênée, elle se tournait vers moi en souriant. Un jour, elle m'a glissé dans la main un petit bout de papier sur lequel elle avait dessiné un coeur avec son nom écrit dedans.

Elle s'appelait Violette... et je l'aime encore...

1 - suit : un habit, un complet, un costume
2 - cuir patent : cuir vernis
3 - kit : ensemble, trousse
4 - vinguienne : juron populaire
5- United 5¢, 10¢, 15¢ : magasin de varétés

6 - coke à la fontaine : Coca-Cola servi au verre au lieu d'en bouteille
7 - trip : fantaisie, caprice d'adulte

Claude Prince nous a quitté le 22 mai 2009.
En sa mémoire, je vais maintenir son site.
Bertrand L. Fleury

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