Souvenirs d'un vieux Montréalais

Autour de l'étang du Parc Lafontaine

À l'eau, à l'eau

À la fin des années '40, toutes les écoles avaient leur Corps de cadets militaires.

Au Plateau plus qu'ailleurs.

Notre directeur d'école avait été Colonel dans l'armée de Sa Majesté et notre professeur d'anglais en sa qualité de Major dirigeait le Corps de cadets d'une main de fer.

Ces deux amateurs du «Garde à vous!» prenaient leur rôle très au sérieux.

Chaque année, au printemps, le port de l'uniforme kaki était obligatoire durant la période des exercices militaires préparatoires au grand «pageant» des Écoles supérieures de Montréal.

Ces grandes manoeuvres, que notre professeur de philosophie qualifiait dédaigneusement de «culture de pieds», remplaçaient temporairement nos cours de culture physique.

Objecteurs de conscience, avant la lettre, nous étions un petit groupe de rebelles à détester, jusquà en avoir la nausée, la milice, la discipline et plus que tout, le port de l'uniforme militaire.

Ce jour-là, au début de l'après-midi, le Colonel et le Major devaient passer les troupes en revue. Une consigne sévère avait été affichée pour nous prévenir que des sanctions seraient prises contre tout «soldat» dont la tenue ne serait pas impeccable. Une partie de la dernière période de cours de la matinée avait été consacrée à cirer les chaussures, frotter les boutons et les badges au «Brillo», brosser soigneusement les uniformes, etc.

Le mot s'est passé dans les classes et au début de l'heure du dîner, les rebelles se sont regroupés sous le petit pont entre l'étang de la fontaine lumineuse celui des chaloupes.

Alors que nous discutons en vue d'établir une stratégie de contestation, sans prévenir qui que ce soit, 5 ou 6 gars portant l'uniforme «de pied en cap», plongent dans l'étang.

Voilà la stratégie!

En moins d'une minute, tout le monde est à l'eau.

Quel gachis!

Les uniformes «pure laine» ont rétréci, les képis sont restés au fond de l'étang, les souliers couverts de boue n'étaient plus présentables... La revue des troupes a dû être reportée au lendemain.

Les «naufragés» ont été exclus du Corps de cadet et condamnés à rester en retenue, tous les jours, une demi-heure le midi et une heure le soir jusqu'à la fin de l'année. Les moins paresseux du groupe en ont profité pour étudier et ils ont obtenu des résutats inespérés aux examens de fin d'année. Comme quoi : «À toute chose malheur est bon.»

Le Capitaine Marleau

Durant la période estivale, la Ville louait des chaloupes dans la partie sud de l'étang. Le concessionnaire était un vieux monsieur un peu bougon que nous avions affectueusement surnommé «Le capitaine Marleau».

Un matin, nous étions quatre ou cinq copains à être arrivés trop de bonne heure à l'école; ne sachant comment tuer le temps, l'un de nous a eu l'idée de faire un tour sur l'étang.

Nous avons détaché une chaloupe et nous avons ramé jusqu'à l'autre bout de l'étang. Nous fumions paisiblement une cigarette quand nous avons vu le capitaine Marleau se diriger vers nous, à toute vitesse, dans sa chaloupe à moteur.

Sauve qui peut...

Tout le monde se précipite sur le trottoir, abandonnant l'embarcation sur le bord de l'étang.

Comme il nous connaissait bien, (nous allions souvent fumer et jaser avec lui dans sa boutique) il nous a dénoncé auprès du directeur de l'école.

Il l'a payé cher.

Quatre ou cinq fois durant le reste de l'année scolaire, nous arrivions vers cinq heures et demie six heures; après avoir tiré la flotte de chaloupes à l'autre bout de l'étang nous les détachions les unes des autres, les laissant dériver au gré du vent. Le capitaine devait à chaque fois passer une bonne partie de l'avant midi à les récupérer. Il va sans dire que nous étions devenus «persona non grata» dans sa boutique et que nous avons dû trouver un autre endroit pour aller fumer le matin avant l'heure des cours...

Photos souvenirs

Un puits en ciment, recouvert d'une dalle en fonte, donnant accès à une station de pompage émergeait de l'étang où le Capitaine Marleau louait ses chaloupes.

Cet ilot minuscule attirait les couples d'amoureux qui, à tour de rôle, s'assoyaient sur le puits pour se faire photographier comme s'ils étaient assis au milieu de l'eau.

Quand il en voyait un, Ti-Paul leur criait : «Venez me chercher et pour un «p'tit trente sous», je vais vous poser tous les deux en même temps».

Sans la moindre méfiance, le couple venait cueuillir Ti-Paul et tendrement enlacés ils se faisaient photographier. Après avoir pris quelques clichés, Ti-Paul étirait le bras pour remettre l'appareil au garçon et il s'enfuyait avec la chaloupe laissant les amoureux pantois sur leur île déserte. Arrivé au bord de l'étang, Ti-Paul abandonnait la chaloupe et il disparaissait dans le parc.

Le Capitaine Marleau, un peu complice car il connaissait bien Ti-Paul, ramenait les rescapés à bon port dans sa chaloupe à moteur et il leur disait en riant : «Au moins mes amis, vous allez avoir une belle photo souvenir...».

Claude Prince nous a quitté le 22 mai 2009.
En sa mémoire, je vais maintenir son site.
Bertrand L. Fleury

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