Souvenirs d'un vieux Montréalais

La peur de l'étranger

Au début des années '40, tous les jours après la prière, le corps raide comme un piquet de clôture et la main sur le coeur, le professeur nous faisait réciter solennellement «Le serment au drapeau» :

«À mon drapeau je jure d'être fidèle
À la race qu'il représente
Du Canada français
J'apporte mes services»
«et patati»
«et patata...»
 

Drôle de "serment au drapeau", puisqu'en ces temps bénis, nous n'en n'avions pas.

Les Anglais arboraient l'Union Jack ou le Red Ensign et nous, les Canadiens (le terme canadien ne s'appliquait qu'aux canadiens d'origine française; tous les autres c'étaient des Anglais) nous nous rabattions sur le Tricolore, le drapeau pontifical ou le drapeau «Carillon Sacré-coeur» de la Société St-Jean-Baptiste avec ses quatres fleurs de lys blanc sur fond bleu, au centre duquel il y avait un coeur ensanglanté, couronné d'épines d'où jaillisait des flames rouge et jaune.

C'est d'ailleurs ce drapeau qui, en janvier 1948, a inspiré l'ineffable Maurice Duplessis.

Il a décidé d'enlever le Sacré-Coeur et de redresser les fleurs de lys pour doter la province de Québec d'un drapeau distinctif bien avant le «Rest Of Canada».

Durant «La grande noirceur», la vie était facile pour «un bon canayen». Nous étions un peuple élu (...un de plus) à qui le Ciel était accordé d'avance.

Il suffisait de faire ses Pâques, payer sa dîme et recevoir les «derniers sacrements» (ou réciter un "Acte de contrition parfaite") avant de mourir.

Protégé, plus qu'à son goût, par son clergé, le bon peuple vivait dans la crainte de dieu, de Duplessis et de l'étranger.

Il fallait se méfier des étrangers, surtout ceux qui n'étaient pas catholiques.

Vers le milieu des années '60... le vent tourne. Duplessis meurt, un vent de liberté r'trousse les soutanes et les curés prennent le bord...

Le discours change.

Dans les écoles, maintenant qu'on en a deux :

un rouge et un bleu, on ne fait plus le serment au drapeau.

À l'école, on dit dorénavant aux ti-culs :

- "Ouvrez-vous sur le monde! «Tout le monde il est beau! Tout le monde il est gentil!"»

Pour être un bon «canayen», oublie ta dîme... mais paye tes taxes...

Depuis le "nine eleven"

Au sud, on se demande : "Qui est Américain?"

On distribue des drapeaux par dizaines de millions.

Dans toutes les écoles américaines, le corps raide comme un piquet de clôture et la main sur le coeur, les ti-culs font chaque matin le serment au drapeau et, notre Céline bien aimée, leur chante "God bless America" pour les rassurer.

Ici, au Canada, (l'ancien plusse beau pays du monde) les étrangers font peur encore une fois; on leur émet des cartes d'identité pour savoir :

qui est «canayen»
pis qui ne l'est pas...
pis depuis quand...
pis d'y ous que tu t'sort...
pis quand est-ce qu'tu r'pars...

Le temps a passé et je suis devenu un p'tit vieux.

J'ai le teint basané, je porte la barbe et j'ai les cheveux longs...

N'ayant pas de carte de réfugié, l'hiver, même si y fait «ben frette», quand je veux m'acheter des bagels, manger un smoked meat chez Schwartz ou des roteux à la Montreal Pool Room, je ne prends pas le risque de me couvrir la tête avec mon foulard "carreauté" noir et blanc.

La «harci-emme-pie» (R.C.M.P.) pourrait me mettre end'ans pendant 3 mois, le temps de «tchèquer» mon numéro d'assurance sociale...

Tout change parce que rien ne change.(1)

(1) Jean-François Khan

Claude Prince nous a quitté le 22 mai 2009.
En sa mémoire, je vais maintenir son site.
Bertrand L. Fleury

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