Souvenirs d'un vieux Montréalais

Les danseuses "exotiques" Peaches et Lily St-Cyr

À la fin des années '40, j'étais inscrit à l'école Le Plateau située dans le Parc Lafontaine. D'autres auraient dit : "J'étais étudiant à l'école...", mais j'étudiais tellement peu que le terme inscrit me paraît plus exact.

Certes pas triste, la faune qui fréquentait le parc, dans le temps, n'était pas encore "gaie".

Durant le jour, on y rencontrait des étudiants des deux sexes, des chômeurs, des jeunes femmes avec leur bébé, des prostituées, des gars de bicycles, etc. Au hasard des rencontres, il m'arrivait souvent de ne pas retourner en classe après la récréation ou à la fin de l'heure du dîner.

Tout était prétexte à manquer l'école


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Par exemple, pour moi et une dizaine de copains, la venue à Montréal de la "danseuse exotique" Peaches était une bonne raison de sècher les cours. Elle présentait un numéro de strip-tease au théâtre Roxy, en face de la "Montreal Pool Room".

Peaches n'était plus dans la fleur de l'âge mais elle demeurait très populaire auprès du public montréalais; elle faisait salle comble à chaque représentation.

Au même programme, on présentait d'autres danseuses, des jongleurs, des chanteurs, des acrobates, des danseurs à claquettes, des humoristes, des magiciens, des animaux savants, etc.

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Entre les spectacles de burlesque, le rideau au fond de la scène s'ouvrait sur un écran de cinéma pour la projection de trois films.

Comme nous assistions aux deux représentations en matinée, pour 26¢, nous avions droit à trois films et deux spectacles d'une dizaine de numéros de vaudeville.

Soit près de cinq heures "d'activités culturelles".

Plus encore que Peaches, pour rien au monde, nous n'aurions voulu manquer d'assister au spectacle de Madame LiLi St-Cyr au théâtre Gayety sur la rue Sainte-Catherine.

      

Au son de la cloche annonçant la fin du dernier cours de la matinée, nous quittions rapidement l'école pour aller tout droit à la Montreal Pool Room, sur la rue St-Laurent, où pour 0.27¢, on offrait «le repas complet».


«Plus gros et meilleur» selon le slogan de la compagnie

En effet, le menu affichait :

hot-dogs «steamés» 2 pour 0.15¢
frites 0.05¢
Pepsi-Cola 14 onces 0.07¢.

Avec nos maigres ressources pécuniaires, c'était vraiment tout ce que nous pouvions nous payer.

Au théâtre Gayety, le spectacle était, de loin, de meilleure qualité. Même si l'on ne présentait pas de films, l'admission, en matinée, était à 0.35¢ pour un siège au premier balcon, 0.50¢ au parterre et 1.00$ dans une des les loges aménagées de chaque côté de la scène.

La performance des artistes de music-hall et les numéros de vaudeville au programme étaient du même calibre que ceux que l'on présentait dans les grands cabarets comme le Bellevue Casino, le El Morocco et le Chez Pare mais la véritable attraction qui nous amenait au Gayety, c'était le strip-tease de la superbe Lili St-Cyr.

Son numéro intitulé «Bubble bath" était notre favori.

Au lever du rideau, au lieu de danser en enlevant progressivement ses vêtements, comme dans un strip-tease traditionnel, Madame St-Cyr apparaissait toute nue sa baignoire.

Au sortir du bain, la bonne, une belle grosse madame, en robe noire sous un grand tablier blanc l'épongeait délicatement avec une immense serviette puis l'aidait à agrafer une belle guêpière en satin blanc.

Ensuite, confortablement installée sur un immense pouf, Lili passsait une petite culotte, enfilait ses bas en les attachant aux longs élastiques de son porte-jartelles.

Enfin, la grosse madame l'aidait à se glisser langoureusement dans sa robe de soirée et après avoir jetté une étole de vison sur ses épaules Madame St-Cyr quittait la scène sous les applaudissements frénétiques de ses admirateurs.

À la fin du spectacle, nous allions finir la journée à la Taverne des Immeubles, située sur la rue Ste-Catherine, en face du magasin Dupuis et Frères.

Au fond de la salle, un corridor mal éclairé menait à la salle de toilette; mais un peu plus loin, un escalier de 3 ou 4 marches donnait accès à une toute petite salle où pour 30¢ on nous servait une grosse Molson ou une Dow sans poser de questions.

À une époque où les curés refusaient la communion aux femme qui portaient une robe à manches courte, le spectacle de Madame St-Cyr faisait scandale.

De plus, comme il fallait avoir 21 ans pour consommer de l'alcool, une journée pareille, pour des p'tits gars de quinze ans, c'était très cool.

Cool au boutt... comme diraient les ti-culs aujourd'hui.

Claude Prince nous a quitté le 22 mai 2009.
En sa mémoire, je vais maintenir son site.
Bertrand L. Fleury

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